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Journal de bord d’un metteur en scène écartelé

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Jusqu’à la diffusion de notre Première, je tiendrai ce Journal de bord pour parler de la démarche de mise en scène qui a guidé et guide encore notre 7e spectacle professionnel, Le Problème avec moi précédé du Déclic du destin de Larry Tremblay, qui sera présenté du 16 au 27 janvier 2024 au Périscope.

Bonne lecture!

Jean-François F. Lessard
Metteur en scène de la pièce Le Problème avec moi précédée du Déclic du destin.
Directeur général et artistique d’Entr’actes, productions artistiques

23 novembre 2023

Toute cette histoire que nous avons envie de partager avec le public, elle part d’un moment de bonheur qui a tourné au vinaigre.

On s’imagine que c’est une gourmandise quotidienne pour ce cher LÉO. Nous voilà donc devant un rituel qui déraille de sa tournure habituelle : un éclair au chocolat destiné à amener plaisir et réconfort, de la bouche à l’estomac, mais dans lequel s’est infiltré un fragment dégoûtant, porteur d’angoisses et de désarroi.

Toute cette histoire, donc, passe par une sensation intérieure oppressante, par une catastrophe vécue dans les cavernes intimes du corps.
23 novembre 2023

54 jours avant la Première

Nous sommes justement en plein retravail des scènes du « Déclic du Destin » que nous avons mises en place au début du mois. Le texte de Larry présente une dramaturgie très ouverte. On pourrait ajouter des couches de signification à n’en plus finir. On pourrait tout peaufiner à l’excès. Il faut choisir.

C’est le corps, justement, qui nous guide. Parce que tout part de lui dans cette histoire.

Un corps qui n’a pas fini de se plier, de s’étirer, de se doubler, de se métamorphoser.

Et de perdre des morceaux.
 54 jours avant la Première

4 décembre 2023

LÉO rappelle ici toute la suspicion qui l’envahit progressivement. Je disais précédemment que le Déclic du destin tenait du rapport au corps. Il évoque aussi la relation qu’on peut tisser avec notre environnement immédiat, avec les lieux de l’intime. La chambre, la bibliothèque, le lit.

Les murs ont des oreilles, dit-on. C’est plus inquiétant quand ils se mettent à nous parler.

La citation me rappelle aussi le rapport que j’entretiens avec l’écriture vertigineuse de Larry ! Je me permets d’appeler cet immense auteur par son simple prénom parce qu’on se connaît un peu. Il a été mon enseignant à l’UQAM, un cours d’écriture dramatique. Quel bonheur, quelle chance ! Et puis, il m’a offert son ouverture et sa complicité devant ce projet qui m’aura amené à transformer en duo le solo du Déclic, et de distribuer entre cinq interprètes les répliques de « Le Problème avec moi » qui, à l’origine, sont prévues pour être jouées à deux.
4 décembre 2023

43 jours avant la Première

Ça m’aura permis de mettre les mains directement dans la matière, mais il y a encore tant à découvrir ! C’est une dramaturgie trouée qui est ici mise de l’avant, pas un texte à message univoque et télégraphié. Ça ouvre de nombreuses portes, on peut dire bien des choses avec Le Déclic et Le problème.

C’est ludique, c’est jouissif, tant pour moi que pour les interprètes. Mais il y a aussi le danger de se perdre à travers toutes ces possibilités.

Alors, à chaque moment de chaque répétition, on persiste à chercher le « grand secret » qu’a semé Larry et qui se faufile derrière les mots.
43 jours avant la Première

14 décembre 2023

LÉO doit composer avec quelque chose de plus grand que lui, un mystère à comprendre impérativement, comme pour en décoder les mécanismes et éviter d’être pris au piège par lui. Il y a certes quelque chose de cauchemardesque là-dedans, mais il est surtout question, ici, d’une tentative désespérée de mettre en lumière une étrangeté tapie dans l’ombre.

Ça installe une espèce de mouvement de balancier dans l’esprit de LÉO. Par moment, LÉO panique, emporté par les frayeurs que la situation distille en lui. Son corps perd des morceaux, c’est loin d’être banal ! Et malgré tout, LÉO trouve constamment une façon de se ressaisir, comme si tout cela n’arrivait pas vraiment, comme si cette plongée dans l’absurde pouvait se résorber à coup d’explications rationnelles.
14 décembre 2023

33 jours avant la Première

Ce mouvement de balancier nourrit grandement le jeu. J’ai toujours ça à l’esprit dans mes échanges avec ces formidables interprètes que sont Hubert et Mathieu. On s’emploie ensemble à explorer et à traduire toute l’étendue des contradictions qui habitent LÉO. Son assurance paranoïde, son courage craintif, son confort torturé.

Il y a que « Le Déclic du Destin » évoque, sourire en coin, ce réflexe que nous avons de nous croire indestructible, à l’abri de toute faille, de toute anomalie, malgré les signes avant-coureurs.

Notre LÉO ne soupçonne pas à quel point il est fragile, à quel point il est en train de se fissurer pour laisser apparaître quelqu’un d’autre.

Ou, devrais-je dire : quelques-uns d’autres…
33 jours avant la Première

22 décembre 2023

Alors que 𝑳𝒆 𝑫𝒆́𝒄𝒍𝒊𝒄 𝒅𝒖 𝑫𝒆𝒔𝒕𝒊𝒏 évoquait la fragmentation/division du personnage, là, avec 𝑳𝒆 𝑷𝒓𝒐𝒃𝒍𝒆̀𝒎𝒆 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒎𝒐𝒊, on entre dans sa multiplication. Et ça vient avec une autre dynamique dramaturgique. On passe, en effet, du monologue introspectif au dialogue absurde.

Ça amène une autre approche de la direction d’acteurs. Dans 𝑳𝒆 𝑫𝒆́𝒄𝒍𝒊𝒄, y’avait une forme de continuité. Là, on est dans une constante rupture, surtout au fur et à mesure qu’arrivent les nouvelles versions de LÉO. Ça demeure le récit d’un écartèlement identitaire, mais dans la facture, il y a de quoi qui rappelle la suite de numéros scéniques. Du Slapstick* surréaliste, je dirais.

*𝐿𝑒 𝑠𝑙𝑎𝑝𝑠𝑡𝑖𝑐𝑘 𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑔𝑒𝑛𝑟𝑒 𝑑’ℎ𝑢𝑚𝑜𝑢𝑟 𝑐𝑙𝑜𝑤𝑛𝑒𝑠𝑞𝑢𝑒 𝑖𝑚𝑝𝑙𝑖𝑞𝑢𝑎𝑛𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡 𝑑𝑒 𝑣𝑖𝑜𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑝ℎ𝑦𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑣𝑜𝑙𝑜𝑛𝑡𝑎𝑖𝑟𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑥𝑎𝑔𝑒́𝑟𝑒́𝑒. 𝐷𝑒 𝑆𝑙𝑎𝑝 (𝑔𝑖𝑓𝑙𝑒𝑠) 𝑒𝑡 𝑆𝑡𝑖𝑐𝑘 (𝑐𝑜𝑢𝑝𝑠 𝑑𝑒 𝑏𝑎̂𝑡𝑜𝑛).
22 décembre 2023

25 jours avant la Première

Faut dire qu’il n’est pas doux avec lui-même, le LÉO. Est-il encore un employé de bureau? Veut-il encore l’être? Est-ce que cela vaut la peine de répondre à cette question puisque « les décisions, c’est de la merde »?

Il y a que ce n’est pas tant une pièce sur le travail que sur la capacité de changement, et sur la volonté de devenir ce qu’on voudrait être réellement. Et encore faut-il le savoir pour de vrai, ce qu’on voudrait être!

C’est pas mal ça qu’on s’emploie à mettre en scène avec 𝑳𝒆 𝑷𝒓𝒐𝒃𝒍𝒆̀𝒎𝒆 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒎𝒐𝒊, le portrait d’un homme constamment balloté entre ses indécisions et ses contradictions.

Beau défi bien stimulant. Et amusant, il faut le dire! On a un certain plaisir à « se torturer le LÉO »...
25 jours avant la Première

8 janvier 2024

Cette initiative de citations extraites de la pièce, c’est né dans la tête de Clara Pagé, notre directrice des communications. Puis, on s’est dit que ça ferait de bons points de départ pour des interventions de journal de bord. Au début, quand elle a choisi cette citation, ma première réaction fut de lui dire : « J’suis pas sûr, cette réplique-là sort un peu de nulle part ».

Finalement, j’ai complètement changé mon fusil d’épaule. Au contraire, il faut ABSOLUMENT parler de cette réplique. Comme on pourrait parler de plusieurs autres qui apparaissent dans le dialogue en n’ayant, à prime abord, aucun lien avec ce qui était dit précédemment.

Il faut absolument en parler, car le texte de Larry est éminemment poétique. Ce n’est pas qu’une simple comédie enchaînant les situations loufoques et les comportements risibles. Il y a de ces répliques et de ces moments qui invitent le spectateur à chercher autour de ce qui est dit, à faire toutes sortes de lien et à tisser ses propres pistes de compréhension.
8 janvier 2024

8 jours avant la Première

Et tout ça est à l’image du zapping identitaire qui se passe dans la tête de LÉO. Le rêve sur cette course dans un champ de blé côtoie la confession sur l’enfance, le bonheur sorti de nulle part, le désir de retourner au bureau, l’obsession pour le film Psycho et ainsi de suite. Si ces moments se déploient l’un après l’autre, à l’horizontal, sur l’axe temporel, on a aussi l’impression qu’ils cohabitent depuis toujours et s’empilent les uns sur les autres, à la verticale.

Le décor que Dominique Giguère, cette chère complice, a élaboré pour 𝑳𝒆 𝑷𝒓𝒐𝒃𝒍𝒆̀𝒎𝒆 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒎𝒐𝒊 tient compte de cette lecture qu’on a de la pièce. On est dans un parc, mais on est aussi dans la douche du film Psycho. Et on a encore un pied dans la chambre cauchemardesque du 𝑫𝒆́𝒄𝒍𝒊𝒄 𝒅𝒖 𝑫𝒆𝒔𝒕𝒊𝒏.

Dans cet espace scénique, et dans tout ce qu’il suggère, il y a des oiseaux qui meurent, d’autres qu’on a empaillés et tous ceux qu’on ne voit pas et qui volent d’une idée à l’autre.
8 jours avant la Première

11 janvier 2024

On est en pleine entrée en salle. Branle-bas de combat. Le projecteur de côté qui illumine le lit au centre. Denis aux éclairages et Dominique aux décors, faisant apparaître de petits miracles sur scène en suivant un ballet finement orchestré. Plus tard, il y aura la terrifiante musique de Stéphane qui viendra s’incruster dans la salle, à gauche, à droite, en arrière, plus forte, plus subtile. Et puis, Guylaine viendra peupler les deux grandes biblios du 𝑫𝒆́𝒄𝒍𝒊𝒄 afin d’y faire apparaître des objets plutôt surprenants…
11 janvier 2024

5 jours, avant la Première

On est en pleine entrée en salle et je réalise à quel point je suis chanceux de pouvoir compter sur ces concepteurs et conceptrices, aussi inspirant.es qu’inspiré.es. Et d’avoir l’appui d’une équipe de production tellement efficace : Joanie à l’assistance à la mise en scène, Laëtitia à la régie, Elizabeth à la dramaturgie, Caroline à la direction de production.
5 jours, avant la Première

Le mot d’avant-Première

On répète tantôt à 18h. Ça fera du bien d’enchaîner le spectacle dans la grande salle, dans le vrai décor. Comme toujours, on fera les deux pièces, l’une après l’autre. Elles apparaîtront accompagnées de leurs titres savamment intégrés par la vidéo de ce cher Jean-Nicolas. La gang de beaux complices plutôt déjantés fera bientôt son apparition. Je parle bien sûr des interprètes : Hubert, Mathieu, Geneviève, Paul et Jeff. Maudit que j’les aime! Ils arriveront et revêtiront ces costumes que leur aura conçus Guylaine, élaborés pour répondre au défi de créer cinq fois la même personne. Plus tard dans la semaine, ils auront le plaisir d’être maquillés par Béatrice, et de se retrouver étrangement avec le même visage… ou presque.

C’est le dernier texte de ce journal et, vous l’aurez deviné, c’est le moment où j’ai surtout envie de parler des formidables personnes qui ont contribué à ce spectacle. J’ai toujours cru à la force du collectif, de la chimie d’équipe. Parfois, ça ne marche pas autant qu’on voudrait, mais là, c’est parfait, tout s’est passé dans la grande et nécessaire ouverture que demande le mandat d’Entr’actes. À chaque instant, je tente de profiter du plaisir de côtoyer ces belles personnes.

« Et quel rapport avec la citation » pourriez-vous me demander?

Oui, je l’avoue, j’ai un peu détourné la consigne… Mais quand même, il y a que nous ne sommes pas du tout des Antony Perkins, ça c’est clair!

Et il y a que pour LÉO, c’est un peu moins clair…

J’ai suggéré dans l’intervention du 5 décembre dernier que le spectacle pouvait partir dans tous les sens. C’est particulièrement vrai pour ce « problème avec moi » à cinq interprètes et on peut dire que ce sont les nombreuses références à Perkins et, donc, au film Psycho, qui sont venues donner un fil conducteur à toute l’équipe. Et si LÉO n’existait réellement que dans la fiction?

Y’a Hitchcock qui nous regarde dans un coin et qui nous envoie l’une de ses célèbres citations :

“Le théâtre, c’est la vie, ses moments d’ennui en moins.”

Et bien voilà ! Je crois qu’on peut dire qu’on a créé tous ensemble l’histoire de quelqu’un de plutôt ennuyant…  et qui vit de quoi de pas ennuyant du tout!

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